Pour info, cette page se trouve aussi sur la FAQ de FRA (lien supprimé, la FAQ a disparu, le lien originel était http://www.aviation-fr.info), c'est ici (même commentaire, http://www.aviation-fr.info/bestof/bestof17.php) (Merci à Sergio pour la mise en page)
Le 15 Avril 2003
C'est ici que tout commence : je me suis longtemps demandé si je devais finir ça (quasiment 5 mois
maintenant sans compter le fait que je suis un gros fainéant). A savoir, raconter
ce que j'ai vécu. Je n'ai jamais vraiment aimé m'épancher en public et
puis je n'aime pas trop le coté "ahh, il se la joue" que j'imagine déjà
entendre.
Non pas que je n'apprécie pas de lire les fantastiques récits des autres
mais...
Bref, je me pose bien trop de questions et l'actualité me fait dire que
j'aurais du coucher ça sur du papier (ou équivalent) depuis bien longtemps !
Donc voilà mon histoire, comment je suis rentré chez Air France et comment j'ai pu voler,
bien des années plus tard, sur Concorde.
Attention, c'est la version longue !
Eté 1998
Tout commence au début de l'été 1998 : souvenez-vous, il faisait beau et
il faisait chaud (et oui c'était l'été). Je vous rassure je ne vais pas
continuer comme ça, sinon ça va être vite saoulant !
J'étais étudiant en école d'ingé, en quête d'un stage. Ma spécialité :
l'informatique et ses systèmes. Je me mets donc à chercher en envoyant des
CVs à tout va parce que je suis à la bourre et que j'aurais du commencer il y a déjà
un bon moment!
C'est encore une bonne période, économiquement parlant, et j'ai donc un
taux d'entretiens positifs assez importants. Au final, je ne retiens que
trois sociétés : deux banques, une qui paye mal et l'autre qui paye bien,
les deux proposant des stages vraiment intéressants et la dernière, une compagnie
aérienne, Air France.
J'avais envoyé un CV au pif en me disant : c'est une grosse boîte, ça
m'éviterait d'aller sur Paris et puis il y avait ce bug de l'an 2000 qui
approchait : pour les jeunes (genre Tomcat), on annonçait la fin du
monde. Moi-même, j'avais garni mon congélo et ma batte de baseball
s'impatientait déjà de ne pas pouvoir déjà donner du fil à retordre à
certains.
Bref, j'ai un jour fini par recevoir un coup de fil des ressources humaines
d'AF (j'aime bien ce terme : c'est mieux que "ministère de l'esclavage") me
demandant si je voulais bien me présenter tel jour pour un entretien, sans
me donner la raison. "Mais sssssssiiiiiiiii" la foule s'exclame. Bien
entendu c'était pour un stage, mais un stage de quoi ? Humm ?
Je me pointe bien habillé (je suis un techos alors c'est rare), je fais un
dernier check dans la bagnole : rien sur les dents (merci le rétro) ? Ma poche à
stylo est complète ? J'ai des piles dans ma caltos ? Ok, je suis prêt à
affronter le monde (je déconne).
On est à CDG, au siège. On me file un badge visiteur et mon futur maître
de stage (Franck) vient me chercher (bon je ne savais pas qu'il allait
le devenir). On se rend dans son bureau, division Amériques, non sans jeter
un oeil sur les hôtesses (mode Homer Simpson : "aaaahhhhhh").
On s'installe et il entame une belle symphonie pour mes oreilles. On est
dans la division Concorde, division qui s'occupe des vols réguliers (New
York - Paris) et des vols spéciaux (les tours du monde, les boucles,
Concorde en Pepsi-Cola, des trucs comme ça). Un des Concorde vient de
sortir de GV (grande révision) et il y a eu des réparations coûteuses à
effectuer dessus (c'était le Fox Charlie), réparations rendues nécessaires par
la découverte de, je cite : "un vieillissement prématuré de la partie médiane du
toit de son fuselage".
Tiré du journal Concorde, journal interne à Air France
Sur la photo, accroupi c'est moi, à gauche un allemand et à droite Guy
(NDLR : j'ai retrouvé l'original et en fait Guy n'est pas sur cette photo puisque c'est lui qui l'a prise)
Ca sonne bien comme ça mais c'est pas vraiment une bonne nouvelle. A
l'époque, on essayait de maximiser la durée de vie de l'appareil pour pouvoir le
faire voler pendant un minimum d'une dizaine d'années (comme ordre de grandeur, on m'avait donné
2017)...
La raison de ces criques (c'est comme ça que ça s'appelle) : Concorde est un avion
souple d'autant plus souple qu'il a été conçu pour aller vite, il est très fin et
longiligne. En plus, le train avant est
très en arrière par rapport à un avion conventionnel : la souplesse de la cabine est
donc mise à rude épreuve par les personnes peu scrupuleuses qui retapent, comme
des porcs, les pistes de part le monde ! ;-)
Quand la piste est pourrie, Concorde en pâtit !
Et c'est réellement le cas à tel point qu'Aérospatiale définit de nouvelles
règles d'exploitations. On compte l'âge d'un avion en heures et en
cycles. Les cycles, ce sont des rotations (on décolle, on vole, on se
pose). Un vol (décollage + atterrissage), c'est normalement un cycle.
Au vu des "dégâts" sur le FC, les changements suivant entrent en vigueur pour toute la flotte :
- si l'avion décolle d'une piste non "connue" (je vais expliquer) par le
constructeur, on appliquera la pénalité maximale, à savoir 10 cycles avec
la masse mini (130 t ou 140 t, je ne sais plus trop, bref on ne va pas loin au vu de la conso horaire
de Concorde).
- sur les "mauvais" terrains, le nombre de cycles ainsi que la MTOW
(Maximum Take-Off Weight, masse maxi au décollage) seront variables. Les chiffres seront donnés par Aérospatiale
- sur les "bons" terrains, on appliquera les chiffres standards : pas de
limitation MTOW et un cycle.
Comme on peut le constater, dans le pire cas, on fait "artificiellement" vieillir l'avion dix fois plus vite que la normale, d'où
la nécessité de trouver une parade.
Reste à différencier les bons des mauvais terrains. Lorsque j'arrive, ils
ont déjà la solution, trouvée avec les constructeurs : le GPS différentiel.
On a deux récepteurs, un statique et un autre baladé sur la piste. Au final, on obtient un profil de
piste avec une précision de l'ordre de 3 cm en vertical et de 1 cm sur les
axes horizontaux.
Les données sont ensuite envoyées chez notre contact (Aérospatiale pour nous) qui analyse les données et
fournit les différents paramètres à appliquer.
C'est tout bénef pour eux pour deux raisons :
- ce sont les exploitants qui prennent en charge les coûts (AF et BA)
- à l'époque l'A3XX (qui deviendra l'A380) est dans les cartons et vu la taille du bestiau,
ils pensent rencontrer les mêmes problèmes de torsion.
La constitution d'une petite base de données aux frais de la princesse est donc la bienvenue...
Le problème qu'ils n'arrivent pas à contourner est que l'outil est un outil destinés aux professionnels de la mesure
et la manipulation, pas aisée du tout (impossible de faire quoique ce soit sans lire la doc).
Mon rôle serait de dégrossir et d'expliquer le fonctionnement du schmurz à
ceux qui sont chargés de faire les manipulations...
Je sors de l'entretien en me disant "oublie les banques, oublie les
banques !!!!!" et je signe peu de temps après, certainement au plus grand regret des
groupements bancaires qui pensaient avoir trouvé un esclave pas cher.
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