Octobre 98

J'attaque un jeudi (je crois) et il n'y a personne dans mon secteur : on m'envoie donc dans le secteur technique (DT.NT) avec qui je vais aussi bosser (j'ai été embauché par le secteur commercial, ça crée donc des tensions assez importantes entre les deux parties). Lorsque j'arrive, ils planchent sur un problème avec l'A340 : criques sur le train avant, il va falloir limiter l'angle de braquage avec tous les problèmes de parking que ça entraîne. Retour "école maternelle" : on a des avions transparents et à l'échelle et on s'amuse à pousser le tout sur des reproductions de terrains. On "simule" donc le parking à coté d'autres avions, le roulage,... J'aime penser que j'ai aidé à faire quelque chose, mais au final je n'en suis pas bien persuadé ! ;-)

Les premières semaines sont fastidieuses : je m'abreuve des documentations sur le GPS et sur l'équipement qui est utilisé. Je rédige un manuel et des notes explicatives en plusieurs langues (français, anglais et espagnol) pour les escales qui vont voir débarquer le secteur "planimétrie". Qu'est-ce que c'est, comment ça marche, non on ne va rien détruire, etc.
On a en effet quelques impératifs sérieux : il faut pouvoir bloquer la piste mesurée pendant au moins 2 heures (pas facile à obtenir) et il faut avoir un chariot plus le tracteur qui va bien (avec un conducteur qui a le permis de piste) à dispo. Pourquoi 2 heures ? Parce que l'on mesure la piste sur l'axe médian en faisant l'aller-retour à la vitesse de 6 km/h et qu'il faut qu'on ait le temps d'installer tout notre bardas sans le voir s'envoler !

On a du faire ces papiers parce que bien souvent nos interlocuteurs nous disaient "oui, oui" et lorsque qu'on se pointant, rien n'était là (et je ne parle même pas des roues carrées sur les chariots, pratique pour avoir des mesures précises).

L'autre question est : pourquoi un chariot ? Parce qu'il faut tirer le truc pour la mesure : pas question de le porter, c'est bien trop lourd et volumineux. Malheureusement, on se rendra compte bien vite qu'il est quasiment impossible de demander au conducteur du convoi de tenir une vitesse constante aussi faible. Notre solution (enfin la leur) sera trouvée un peu plus tard : "tu marcheras devant Mathieu pour donner l'allure, tu comprends moi et ma patte folle"...

Avec tout mon savoir, on m'envoie au bout ... de la France : Nice pour faire la mesure avec Thierry du secteur technique. On fait ça de nuit et on a l'occasion de papoter dans un froid relatif sur ses expériences. Ce que ces bonshommes ont vécu et vu comme pays, c'est pas croyable (surtout pour un petit bonhomme comme moi) !

La mesure est correcte et au passage, on plante les géomètres qui bossent en même temps que nous et qui nous demandent ce que l'on fait et avec quelle précision : ils prenaient un point tous les 200 ou 400 mètres... Notre GPS relève un point toutes les secondes ce qui nous donne un point tout les mètres soixante ! Mouahahahahahaha, on était bien content d'être plus fort qu'eux ce soir là !

De retour à CDG, dans le plus grand secret, mon chef donne le signal "go" après ce qui a été mon baptême du feu : bon pour le service.

Et voilà que je m'envole quelques semaines plus tard pour le Kenya, Nairobi plus exactement où Concorde se pose de temps en temps pour la clientèle américaine qui s'offre des tours du monde.

Je pars avec un monsieur qui "parle fort" et qui semble être un sacré numéro : Guy. On ne se connaît que très peu et je me dis qu'à la moindre bêtise, ce gars ne va faire qu'une bouchée de moi.
Il a vécu dans le pays et connaît donc notre destination (l'expérience montrera qu'il connaît pratiquement tout le monde, partout. C'est pénible à force). On a 3 nuits sur place pour faire la mesure et il a un peu plus de boulot que moi : quelques détails d'intendance à régler (pack de clim, générateurs et air starter, tout ça pour Concorde).



On est logés dans les pires conditions


Le premier jour, je n'ai pas vraiment grand chose à faire si ce n'est attendre. L'après-midi, il m'emmène dans la réserve naturelle qui est juste en dehors de Nairobi. Il me conduit pendant un bon moment et au final on ressort en ayant vu : nada, rien... Si ce n'est l'endroit où le gouvernement a fait brûler des défenses en ivoire pour condamner symboliquement la contrebande.

Le deuxième jour, le hasard du calendrier fait que Concorde fait escale sur place et Guy me demande si je veux me rendre avec lui sur l'aéroport, traîner pendant que lui bosse. Comme un gosse (imaginez un peu), je fonce avec lui et je me retrouve tout seul, à arpenter la cabine de l'avion en essayant d'imaginer ce que l'on doit ressentir pendant le vol...

Guy me présente à l'équipage et surtout à l'OMN (Officier Mécanicien Navigant, le mécano) : un grand bonhomme dont je ne me rappelle plus le nom qui me fait faire la visite de l'avant de l'appareil.

Il s'installe dans le cockpit et m'invite à prendre la place du chef : le siège gauche. Comme un con et pataud, je m'assois en essayant de ne rien toucher. Il doit le remarquer et aussi tôt que je suis assis, il avance mon siège. Me voilà, à gauche, le manche entre les mains à lire tous les instruments. Je me concentre et parcours le tableau de bord en essayant de reconnaître un maximum d'instruments (l'heure est grave, ça ne m'arrivera certainement jamais plus donc j'essaye de mémoriser un maximum de trucs). Dans mon dos, il bosse et un peu plus tard, me sort de mon rêve : il doit tester les commandes de vol. Les générateurs sont branchés et l'avion est déjà en vie : ça bourdonne et on aperçoit un peu partout des loupiotes qui doivent avoir leur utilité...

Il prend la place du Commandant de Bord et commence à activer les commandes tout en m'expliquant le coup des élevons et en me montrant sur les instruments les positions prises par les gouvernes. Et tout d'un coup, paf, tout saute. Le bourdonnement cesse, les loupiotes s'éteignent, l'avion s'endort comme un automate : c'est le groupe au sol qui a sauté. Il se lève, fait redémarrer le groupe, active un bouton sur son panneau et se rassoit. Il recommence et paf, ça re-saute. Il maudit l'équipement au sol qui est pourri mais c'est ma chance : je suis assis sur son siège, celui du mécano et il me demande de "rallumer" les circuits de l'avion en me désignant le bouton qu'il faut que j'actionne.

Rah, l'instant est solennel et jamais je ne pourrais oublier l'émotion créée par le jus qui remet tout ce beau monde au garde à vous...

Je remercie les Dieux et je bénis les équipements pourris !

Il finit par abandonner me disant qu'ils testeront tout ça moteurs allumés. Il continue en faisant toutes les autres checks : les témoins lumineux, les instruments, les alarmes sonores (qui se rappelleront à mon bon souvenir quelques années plus tard lorsque j'apprendrai qu'il y a eu un accident).

Vite, il faut maintenant que je me sauve, l'embarquement va commencer.

Pendant que les passagers embarquent, je suis sous Concorde avec un mécano au sol (enfin je crois me souvenir qu'il était mécano). C'est lui qui sera relié à l'équipage via le cordon ombilical connecté sur le train. On fait le tour de l'avion et il me présente la bête vu du dessous. On discute de tout et de rien, et surtout de savoir comment un stagiaire a pu se retrouver là ("de mon temps, les stagiaires patati-patata...") ! Il m'explique ce qu'est le lot de bord (les pièces détachées), tous les machins qui dépassent sous l'avion, son boulot, etc.
Le départ approche. Il me file des protections pour les oreilles et m'emmène sous l'avion avec lui : on va démarrer les Olympus. Le démarrage est laborieux parce que les groupes pneumatiques sont du même acabit que les générateurs : le débit est loin d'être constant et on voit les raccords pneumatiques qui dansent comme des serpents en transe. Au final, un moteur dans chaque nacelle est démarré. Bon dieu que ça gueule, que c'est strident mais quelle musique mes amis, inoubliable, même avec le casque sur les oreilles !

L'avion est repoussé et les deux moteurs restants sont démarrés au large. Il fait son roulage, va s'aligner, s'arrête puis s'arrache du sol dans le déchirement de quatre Olympus qui donnent tout ce qu'ils ont. La vache, ce qu'il beau cet avion !

Ca commence à faire beaucoup de sensations pour un petit gars comme moi. Si un jour on m'avait dit...

On finit par faire ce pourquoi on est venu : notre mesure de la piste. On a notre chariot, notre tracteur et surtout notre accompagnateur qui est connecté via radio avec la tour. Pour le coup, pas de FLYCO mais les pompiers du terrain. Je marche à la belle étoile, en regardant la croix du sud, me disant que jamais je n'avais et n'aurais oser imaginer voir un tel truc et je repense à tout ces gens fameux dont j'ai lu les noms dans les récits sur l'Aéropostale...
La piste est longue et malgré la fraîcheur j'ai vite chaud. Les pompiers éclairent la piste et on voit un bon gros serpent se frayer son chemin sur le coté : ça ne fait marrer que les pompiers... Au bout, on fait demi-tour et je pense au trajet que je viens de parcourir et à ce qu'il me reste à faire, à pied : pffff, c'est long !!!

Il ne nous reste que quelques centaines de mètres à parcourir lorsque les pompiers s'affolent et nous expliquent qu'un cargo est sur le taxiway et qu'il va bientôt s'aligner. On lève la tête et on voit l'engin (un DC-10 certainement) qui se rapproche dangereusement. On cavale comme des lapins pour sortir de la piste et se mettre à l'abri. En tout cas, suffisamment vite pour me permettre de raconter cette histoire... Ca souffle un avion qui décolle ! Un bonne sueur froide avant d'aller se coucher et bien plus tard, un bon moment de rigolade lorsqu'on en reparle.

On rentre à l'hîtel : il est 5h du mat lorsqu'on y arrive. On repart le soir même et ayant rempli notre mission Guy me fait la proposition suivante. Vu qu'on est au Kenya, ça serait bête de repartir sans rien voir : on décide de ne dormir qu'une heure pour aller se faire un petit safari avec notre 205 (de location) dans l'Amboseli, parc naturel au pied du Kilimandjaro. Je me marre lorsque j'appelle la réception de l'hôtel et que je demande à être réveillé à 6h du matin, soit une heure après mon appel : le gars me demande de confirmer au moins 3 fois...

Guy connaît la route et on aura une chance de débutants : j'ai vu plus de bestioles en liberté que je n'ai vu de bêtes dans un zoo, mais ça c'est une autre histoire.


Trois zèbres

Un éléphant se cache dans cette image, saurez-vous le trouver ?

Pour ceux qui ne font pas gaffe ce zèbre n'est pas rayé "normalement"

Halte buvette : un hôtel au coeur de la réserver... Je suis un peu crasseux parce qu'on est passé dans du fesh-fesh !

Des flamands roses qui font escale dans le coin

Le "petit" avec le monde à ses pieds !!!

Voici ce qui arrive lorsque vous vous servez d'une voiture de location comme d'une voiture de safari...


On repart du Kenya et dans l'avion, je me vois autrement : le fait de voyager loin (c'est une première pour moi) m'a fait découvrir de nouvelles sensations pas désagréables du tout et je me dis que je pourrais me satisfaire de ça. Qui plus est, mon expérience pendant ces 5 jours aura été tellement riche que je me sens soulagé d'une certaine manière : j'ai vu un tel nombre de choses que je me sens dans un état de béatitude qui pourrait durer des décennies.

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